H K
Biographie
CHANTEUR ENGAGÉ
Je fais partie de cette génération qui a assisté à la naissance du magnétoscope. Une machine extraordinaire venue d’ailleurs ; plus qu’un progrès, une révolution ! D’un coup, le cinéma s’invitait dans nos maisons ! Il suffisait d’aller louer deux cassettes pour 10 francs et on avait un troisième film gratis ! C’est ainsi qu’on pouvait passer la moitié d’une nuit à dévorer les dernières nouveautés.
Sur le grand canapé d’angle de notre salon, nous pouvions nous entasser, nous coller les uns aux autres, jusqu’à être la famille au complet ! Et chez moi « la famille au complet » c’était quelque chose : le papa, la maman, et les cinq enfants. Nous regardions des films « familiaux ». Mon père aimait les péplums, quand je dis « aimait », c’est un euphémisme : il ne jurait que par ça. Je crois avoir vu et revu Spartacus cinq ou six fois au moins, tout comme Ben Hur et Les Dix Commandements. J’étais enfant, et il ne m’était pas simple de comprendre que Ben Hur et Moïse étaient deux personnages différents bien que se ressemblant étrangement… Ils étaient interprétés par le même Charlton Heston.
Et souvent, les samedis soirs, une fois que le papa et la maman étaient montés se coucher, mes grandes sœurs et mes grands frères prenaient les rênes ! Films d’actions ou fantastiques, mélodrames, thriller, films d’horreur…
Aux premières heures du magnétoscope, je ne participais pas à ces séances nocturnes. J’étais bien trop jeune ! Ces films n’étaient absolument pas faits pour moi. C’est ce que tout le monde me répétait en boucle… Vous savez comment c’est quand on est le plus jeune : on veut rester avec les grands, même si on ne peut pas, surtout si on ne peut pas ; on n’est pas raisonnable, et à la moindre petite faille… on fonce !
C’est ainsi qu’au bout de quelques temps, l’air de rien, j’avais réussi à me faire une toute petite place bien discrète, sous les couvertures, au milieu des frangines et des frangins ! Et me voilà âgé de dix ans à peine, à regarder des films comme Vol Au-dessus d’Un Nid De Coucou, Shinning (mes sœurs adoraient Jack Nicholson) ou encore Soleil Vert. Je n’avais pas l’âge pour ces films. J’étais bien trop jeune, c’est sûr, mais j’aimais ça ! On était collés les uns aux autres ; et au moment des « scènes qui font peur » comme je les appelais à l’époque : on criait en se tenant, en s’agrippant, un peu comme dans un parc d’attraction, dans un manège à sensation, bateau pirate ou train fantôme…
À l’époque à vrai dire, on n’était pas aussi regardant qu’aujourd’hui sur les normes en termes d’âge minimum, et si je devais compter le nombre de films que j’ai vus que je n’aurais pas dû voir… on en aurait pour un moment. Combien de fois j’ai fait la sourde oreille face aux conseils de la fratrie : « là, tu devrais VRAIMENT aller te coucher … ». Si je me souviens bien, il n’y a qu’une fois où j’ai fini par obtempérer. Et vous allez comprendrez pourquoi. Il s’agissait de Poltergeist ! Vous savez ce film allemand où des esprits maléfiques sortent d’une télévision dont l’écran affiche de la « neige ». À l’époque, la télé n’émettait pas 24h sur 24, et à la fin des programmes, c’était ainsi. Là, c’en était trop pour moi : je suis monté me coucher aussitôt après vu la moitié de la première scène d’horreur.
Fort heureusement il n’y avait pas que ce genre de films qu’on regardait à la maison. Je me souviens très bien par exemple de Countryman, ce film jamaïcain sur fond de « Natural Mystic » de Bob Marley, qui signe la bande originale du film.
Ah je vous parle d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître… C’était le bon vieux temps ! Le temps de tous ces grands films qui se terminaient par « man ». Pas Superman ! Ni Batman, ou encore Spiderman …
Non, je vous parle de Countryman, Marathon Man, Elephantman. Le genre de film qui vous parle de la nature humaine et qui vous indignent. Je me souviens de cette célèbre réplique qui m’avait bouleversé : « Je ne suis pas un animal ! ». Puis vint un peu plus tard je crois, un autre film qui m’a marqué à vie : Little Big Man, avec Dustin Hoffman et cette fameuse réplique : « C’est un beau jour pour mourir. ».
C’est avec ce film que j’ai commencé à m’intéresser à l’histoire amérindienne, et à comprendre que John Wayne et ses amis étaient des salauds en réalité… Le cinéma peut servir à ça aussi : mettre en lumière une face sombre de notre histoire, comme plus tard Rachid Bouchareb et sa belle bande d’acteurs le firent avec Indigènes.
« Si vous n’êtes pas vigilants, les médias arriveront à vous faire détester les gens opprimés et aimer ceux qui les oppriment. » Cette phrase est signée Malcolm X. Son histoire, je l’ai lue dans une biographie, j’avais dix-huit ans. Quelques mois plus tôt, j’avais vu Malcolm X de Spike Lee. C’est en regardant ce film qu’adolescent j’avais ouvert les yeux sur la réalité des afro-américains aux USA. Tout comme c’est en regardant Cry Freedom avec Denzel Washington, encore lui, que je découvrais le sens véritable du mot Apartheid, sa réalité, son horreur…
Bien sûr, le cinéma ne fait pas tout, mais pour moi en tous cas, il a souvent été l’étincelle qui m’a donné envie de m’instruire sur tel ou tel sujet, sur telle ou telle page de notre histoire. Presque autant que la musique et l’écriture qui me tiennent compagnie chaque jour, le cinéma m’a aidé à être qui je suis aujourd’hui. Il m’a rendu curieux des autres et amoureux de la vie.
Les exemples de films qui m’ont bouleversé, ouvert les yeux, voir qui ont façonné ma vie sont nombreux et je ne peux pas tous les citer ici, mais je ne pourrai guère terminer sans parler de Charlie Chaplin ! Génie parmi les génies. Il savait tout faire : écrire, filmer, réaliser, jouer, composer, interpréter, danser, chanter… Jusqu’au numéro de cirque en patin à roulette ! Au-delà de ça, ses films disaient tout déjà de son époque et de ses dérives mais parlaient également de ce qui nous attendait… Quand on regarde Les Temps Modernes aujourd’hui, outre le fait que ce film soit toujours aussi touchant que jubilatoire, on se dit « il avait tout vu, tout compris ». À sa façon, il nous avait prévenu… C’est pour ça que j’aime le cinéma, ce cinéma.